La pêche professionnelle en eau douce

Qui sont les pêcheurs professionnels continentaux et estuariens ? Des passionnés avant toutes choses. Passion transmise de père en fils ou simple plaisir de pêcher le dimanche donnant naissance à une vocation. Sans une détermination indéfectible, il est difficile d'accéder à cet idéal.

La pêche, un art de vivre

Comme le paysan qui aime la terre et la travaille pour qu’elle produise, le pêcheur, par ses actions bénéfiques au milieu, œuvre pour que sa récolte soit bonne ad vitam aeternam. Il ne pêche jamais aveuglément. Nombre de jeunes pêcheurs récemment installés sont titulaires d’un BEP ou d’un BTS aquacole, formations au cours desquelles ils ont acquis une solide connaissance de la gestion piscicole.

Une mosaïque de savoir-faire

Dans ce métier, l’apprentissage est quotidien, les savoir-faire sont une mosaïque de compétences polyvalentes chaque jour renouvelées : ramendage des filets, préparation du poisson, relevés biométriques des pêches scientifiques aujourd’hui et comptabilité, goudronnage des nasses et épissures demain…

Ce difficile métier qu’il faut exercer tous les jours dans le froid, la pluie, le vent, la chaleur accablante… n’est pas sans danger.

Bateau échoué, arbre arraché des berges en dérive dans les filets, nasses ensablées…

Que d’inconfort, que de sacrifices face aux investissements. C’est le prix à payer pour pouvoir continuer à jouir du rythme saisonnier de la vie des fleuves, des rivières et des lacs dont le pêcheur connaît les moindres composantes !

Plaisir de transmettre

Le plaisir qu’il a à pêcher, il veut le transmettre. Il se fait pédagogue auprès des scolaires, hôte convivial auprès des touristes… Les produits qu’il offre aux restaurateurs, prépare aux petits oignons à ses clients des marchés, sont autant de joyaux de quelques réjouissantes traditions culinaires qu’il lui faut partager.

La pêche est un art de vivre, peut-être aussi une religion pour certains.

Beaucoup plus que des pêcheurs

Pêcheurs professionnels, oui mais pas que ! Ils participent, en effet, à des plans de gestion de grande ampleur : pacage lacustre sur les lacs alpins, reconstitution du stock de saumons sur l’Adour, Indicang, marquage-recapture des anguilles argentées sur la Loire… Des associations de protection de la nature leur reconnaissent un rôle majeur de gestionnaire des milieux.

Une pêche durable

Les pêcheurs professionnels contribuent au maintien de l’équilibre des espèces et des classes d’âge pour une pêche durable et limitent la prolifération des espèces invasives et des gros spécimens compromettant l’équilibre biologique d’une rivière. Leur présence régulière sur le terrain permet de freiner les actes de braconnage.

Soucieux d’œuvrer pour la préservation des ressources, ils utilisent souvent des engins de pêche plus sélectifs que ceux imposés par la réglementation. C’est une des clés de la pérennité de leur entreprise.

Chaque pêcheur a l’obligation de déclarer, tous les mois, la totalité de ses prises. Un outil de télédéclarations des captures par Internet doit voir le jour au 1er janvier 2020. Les données, collectées par l’Office français de la biodiversité (OFB), pourront alors être recoupées avec celles du Réseau hydrologique piscicole (RHP) pour connaître l’évolution des stocks de poissons.

Veilleurs du milieu, avec des connaissances précieuses, les professionnels sont souvent les premiers à constater les dysfonctionnements du milieu, les pollutions et sont donc les premiers à lancer les alertes.

Organismes scientifiques, administrations, collectivités territoriales, entreprises privées… les  sollicitent pour accomplir de nombreuses prestations :

  • pêches scientifiques,
  • pêche de sauvetage lors de vidange de plans d’eau et de barrages,
  • pêche de régulation avec l’autorisation de l’administration sur le domaine public fluvial et à la demande des propriétaires sur le domaine privé.

Des investissements lourds

La pêche nécessite un lourd investissement en matériel, qui doit être sans cesse renouvelé. Cordages, filets, verveux ont beau être réparés et entretenus régulièrement, stockés soigneusement à l’abri des UV, leur durée de vie reste limitée.

Les investissements en filets et engins de pêche sont très variables selon les pêcheurs et les régions. En moyenne, la valeur des engins détenus par chaque pêcheur est estimée à 12 800 €. Les matériels utilisés sont d’une grande diversité, filets droits ou trémails de longueurs différentes, verveux, nasses à anguilles, grandes cages métalliques à perches des lacs alpins, tamis à civelles…

Les moteurs hors-bord, quant à eux, doivent être révisés fréquemment et remplacés périodiquement pour la tranquillité d’esprit et une meilleure sécurité par tous les temps. C’est aussi pour ces raisons que le bois a été abandonné pour les bateaux de 5 à 7 mètres, au profit de l’aluminium ou du polyester qui demandent peu d’entretien. Il est de plus en plus difficile de trouver des cales en bon état sur le réseau hydrographique français pour mettre les bateaux au sec.

Dans les estuaires, les navires de type « Canot » ou petit chalutier de 6 à 8 mètres sont équipés de moteur in-bord (d’une puissance autorisée maximale de 100 CV). Le coût d’une telle embarcation neuve avoisine les 150 000 €, dépense toutefois amortissable sur 7 ans.

Normes sanitaires européennes

Un quart des pêcheurs a investi dans la construction d’un laboratoire de transformation aux normes sanitaires européennes. Viviers, chambres froides, machines à glace, véhicules utilitaires isothermes, écailleuses, balances électroniques, tables inox, unités de cuisson font également partie du matériel possédé par nombre de pêcheurs.

D’autres charges entrent dans les frais professionnels. Outre l’adhésion aux associations de pêche et les charges sociales, dont les taux sont à peu près similaires à toutes les entreprises, le poste « carburant » est un gouffre, pouvant atteindre pour certains fluviaux jusqu’à plus de 7 000 € par an.

L’organisation administrative de la pêche professionnelle fluviale

Deux ministères de tutelle

Les pêcheurs professionnels fluviaux ont, au regard du droit social, un statut de chef d’exploitation agricole. Ils cotisent à la MSA (Mutualité sociale agricole). La réglementation de leur activité (périodes d’ouverture, engins autorisés…) relève du ministère de la Transition écologique et solidaire. En effet, depuis la loi sur l’eau et les milieux aquatiques promulguée en 2006, le droit de la pêche en eau douce a totalement été intégré dans le droit de l’eau et donc de l’environnement.

Le ministère de l’Agriculture reste compétent sur les questions sociales et l’accompagnement économique de l’activité des pêcheurs professionnels en eau douce, sa direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA) étant l’autorité nationale de gestion pour la mesure « pêche dans les eaux intérieures » du Fonds européens pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). La DPMA est, à ce titre, l’interlocutrice de la DG MARE (Direction des affaires maritimes et de la pêche) de la Commission européenne.

Les pêcheurs fluviaux exerçant en zone estuarienne dite « mixte » sont également soumis à la réglementation adoptée par les préfets de région dans le cadre des comités de gestion des poissons migrateurs (Cogepomi) via les directions inter-régionales de la mer (Dirm) qui, en matière de pêche, sont mises à disposition du ministère chargé des pêches maritimes.

Les marins-pêcheurs, eux, sont inscrits à l’Établissement national des invalides de la marine (Enim). Ils sont représentés par la commission des milieux estuariens et amphihalins (Cmea) du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM). La réglementation des pêches maritimes relève de la seule compétence du ministère chargé de l’Agriculture et de ses services déconcentrés, dont les délégations à la mer et au littoral des directions départementales du territoire et de la mer (DDTM).

Les estuaires sont divisés en trois territoires

  • en aval : le domaine maritime
  • en amont : les eaux fluviales
  • entre les deux, une zone tampon à réglementation fluviale, appelée zone « mixte ». C’est le secteur où marins pêcheurs et fluviaux se côtoient et effectuent le même travail. Depuis 1994, les réglementations fluviales et maritimes de la pêche des espèces migratrices sont harmonisées.

Sur le domaine fluvial strict, pêcheurs professionnels, pêcheurs amateurs aux engins et aux filets et autres pêcheurs à la ligne exploitent les mêmes territoires de pêche. Ils sont respectivement environ 380 professionnels, 5 000 amateurs et 1 000 000 à la ligne.

Seuls les pêcheurs professionnels sont autorisés à commercialiser leurs captures. 40 % d’entre eux exercent une autre activité, le secteur exploité ne leur procurant pas suffisamment de revenus pour vivre toute l’année. 60 % des pêcheurs ne travaillent pas seuls. Ils font appel à une main-d’œuvre extérieure (compagnons) ou reçoivent une aide ponctuelle d’un ou plusieurs membres de leur famille.

Les six statuts de pêcheurs professionnels dans les eaux à réglementation fluviale

1

Le locataire (adjudicataire ou fermier)

Il loue des tronçons de cours d'eau (appelés « lots ») à l'État pour 5 ans ou à une collectivité locale qui en a la gestion. Le bail est rattaché à un cahier des charges.
2

Le cofermier

Sous sa propre responsabilité, le locataire peut être autorisé à s'associer avec un cofermier qui jouit, en commun avec lui, des droits de pêche alloués sur ce lot.
Celui-ci doit être agréé par le préfet dans le lot considéré.
Le locataire et le cofermier s'engagent à participer à la gestion piscicole du lot, selon les modalités fixées par le locataire.
Nombre de pêcheurs sont à la fois locataire et cofermier. Les réciprocités qu'ils s'accordent leur permettent de s'entraider et d’agrandir leur territoire de pêche.
3

Le compagnon

Le locataire et le cofermier peuvent être chacun assistés par un ou plusieurs compagnons dont le nombre maximum est précisé dans le cahier des clauses particulières. Le préfet (représenté par le service gestionnaire de la pêche) délivre à chaque compagnon une carte précisant sa qualité, comportant sa photographie d'identité et précisant le lot ou les lots sur lequel ou lesquels il peut exercer.
Le locataire et le cofermier sont seuls habilités à faire acte individuel de pêche. Toutefois, ils peuvent autoriser leur compagnon à pêcher en leur absence. Les compagnons sont des salariés, des cofermiers ou des titulaires de licences.
4

L'aide

Le locataire, le cofermier et leur compagnon peuvent se faire assister par des aides. Les aides n'ont, en aucun cas, le droit de faire acte individuel de pêche. Ils peuvent être des membres de la famille du chef d'exploitation, tels que définis par la MSA (conjoint, ascendant, descendant, frère ou sœur), ou des salariés.
« Dans le cadre d'une activité de valorisation touristique, de programmes de découverte et de sensibilisation à la pêche, le locataire, le cofermier, le titulaire d'une licence et les compagnons dûment autorisés peuvent embarquer des touristes. Ces touristes peuvent participer très ponctuellement à la manœuvre des engins et des filets sans être considérés comme des aides. Le locataire et le cofermier doivent respecter la législation en matière de sécurité et d'assurances. » précise le cahier des charges.
5

Le titulaire d'une licence

Sur les grands lacs - hormis le Léman, régi par le concordat franco-suisse de la pêche - et les estuaires, le pêcheur professionnel n'est ni locataire, ni cofermier, mais titulaire d'une licence soumise à un cahier des charges.
Ce titulaire peut être autorisé à se faire assister par un seul compagnon. Le préfet (service gestionnaire de la pêche) délivre au compagnon une carte précisant sa qualité, comportant sa photo d'identité et précisant le lot sur lequel il peut exercer.
Par ailleurs, le titulaire de la licence peut se faire assister par des aides, sauf dans les zones définies à l'article L. 436-10 du Code de l'environnement.
6

Le marin pêcheur

Le marin pêcheur, titulaire d'une licence Cmea et adhérent à l'AAPPED territorialement compétente, est autorisé à pêcher dans les eaux mixtes. S’il est assisté d’un matelot en zone maritime (salarié embarqué), celui-ci est alors considéré comme compagnon dans les eaux mixtes.

L’attribution des droits de pêche

Les droits de pêche (baux et licences) sont délivrés par l’État, les collectivités territoriales ou tout autre propriétaire du droit de pêche.

L’attribution et le renouvellement des lots et licences de pêche professionnelle ont lieu tous les 5 ans. Ils sont soumis à avis des commissions techniques départementales (CTD) et des commissions de bassin pour la pêche professionnelle en eau douce. Les champs de compétences de ces deux commissions sont définis par les articles R 435.14 et R 435.15 du Code de l’environnement.

Les baux conclus au 1er janvier 2017 expireront le 31 décembre 2021.

Les commissions techniques départementales

Les commissions techniques départementales de la pêche, dont la composition est fixée pour 5 ans par l’arrêté interministériel du 28 août 1987, réunissent annuellement des représentants de l’État (administrations concernées), des pêcheurs de loisirs (à la ligne et aux engins) et des pêcheurs professionnels. Les préfets les consultent pour déterminer les modalités d’attribution des lots et les clauses particulières qui leur sont attachées, clauses constituant ensuite les droits et les devoirs du pêcheur détenteur du droit de pêche.
Ces commissions sont consultées pour redéfinir, le cas échéant, le nombre et la nature des engins et filets autorisés. Elles le sont également pour modifier le nombre de licences à délivrer sur chaque lot disponible sur les lacs et les estuaires.

Les commissions de bassin pour la pêche professionnelle en eau douce

Dans chaque bassin hydrographique, il est institué une commission de bassin pour la pêche professionnelle en eau douce. Elle se réunit après la commission technique départementale. Elle est consultée par le préfet sur les demandes de location de lots et d’attribution de licences. Elle examine les candidatures des pêcheurs, décide de la prolongation et du renouvellement des autorisations déjà accordées, examine les demandes d’ouverture de lots aux jeunes pêcheurs. Elle donne aussi son avis sur les modalités de constitution des lots et les clauses attachées à chacun d’eux.
Elle émet un avis consultatif sur les dates d’ouverture de la pêche et les éventuelles mesures tendant à mettre en réserve certains lots ou secteurs de pêche.

Le cahier des charges

Établi par le ministère de la Transition écologique et solidaire, il précise point par point l’ensemble des obligations du détenteur du bail dans l’objectif d’une gestion rationnelle des ressources piscicoles.
Il y est notamment rappelé l’obligation de déclaration de captures. « Le titulaire de la licence doit consigner au fur et à mesure, pour chaque espèce de poissons, chaque sortie de pêche et chaque type d’engin utilisé, les résultats de sa pêche sur une fiche mensuelle fournie par le service gestionnaire » est-il indiqué. Et « toute absence de déclaration de pêche peut donner lieu à la résiliation du bail » ou de la « licence ».
La nature, le nombre, les dimensions et les conditions d’utilisation des engins et des filets que le locataire est autorisé à utiliser pour chaque lot font l’objet des clauses et conditions particulières du cahier des charges élaborées par le préfet.
Dans le cadre du renouvellement des baux de pêche 2017-2021, l’arrêté du 11 décembre 2015 et son arrêté modificatif du 6 juillet 2016 ont approuvé le nouveau modèle de cahier des charges pour l’exploitation du droit de pêche de l’État.

Le lac Léman ©Michaël Dumaz, pêcheur professionnel

Les circuits de commercialisation

Sur le quai à la descente du bateau, le poisson est vendu entier. Sur les marchés ou dans leur local professionnel, le pêcheur éviscère, écaille si besoin, prépare en filets ou en darnes…

Le pêcheur livre ses poissons aux restaurateurs avec lesquels il a noué des relations commerciales privilégiées. Leurs menus changent au fil des saisons pour ne proposer que du frais et du sauvage. Les contacts entre le chef et le pêcheur sont fréquents pour mieux satisfaire la clientèle. Sandre au beurre blancomble chevalier brisé fine champagne, friture d’ablettesmatelote d’anguilles, bisque d’écrevisses… figurent ainsi à la carte.

Les poissonneries (magasins ou grandes et moyennes surfaces) constituent également un débouché dont l’importance varie d’un pêcheur à l’autre. Les exigences de ces commerces, très précises quant aux quantités et aux dates de livraison, ne cadrent pas bien avec les fluctuations de la pêche. Poissonniers et responsables des rayons pêche des supermarchés sont habitués à passer par des centrales d’achats qui s’approvisionnent dans les fermes aquacoles ou en criées. Les pêcheurs ne peuvent s’adapter à leurs délais et volumes, sauf pour les espèces abondantes ou conservées en bassin (anguilles, lamproies).
Les mareyeurs achètent aux pêcheurs toute l’offre disponible. Leur négoce de grande envergure leur permet d’écouler (parfois à moindre prix) les gros arrivages. Beaucoup d’entre eux exportent. Cependant, il leur arrive de refuser certaines espèces jugées « difficiles à vendre » (carpes, brèmes, barbeaux…).

La commercialisation du poisson n’est pas destinée qu’à la consommation.

Trois secteurs recherchent du poisson vivant :

  • les pisciculteurs d’étang en quête de géniteurs,
  • la pêche récréative pour soutenir les effectifs piscicoles,
  • les gestionnaires, dans le cadre de programmes de réhabilitation d’une espèce. Actuellement, les pêcheurs professionnels fournissent en civelles les programmes de repeuplement réalisés dans le cadre du plan de gestion européen de l’anguille. Disposant d’autorisations de pêche spécifiques, ils ont participé, il y a quelques années, aux programmes de réintroduction du saumon en Garonne-Dordogne, à partir de spécimens de Loire, et de l’alose dans la partie allemande du Rhin.

Si certains pêcheurs se contentent de vendre leur poisson en frais avec un service minimum, d’autres ont développé une véritable activité de transformation. Ils élaborent des recettes pour les commercialiser sous diverses formes de conservation : en conserve, sous vide, surgelé, fumé, ou encore sous film à réchauffer au four (quiches et tourtes).
De leurs laboratoires aux normes sanitaires européennes sortent ainsi mousses de poisson pour tapas, bisques d’écrevisses, soupes de poisson, lamproies à la bordelaise en conserve, rillettes… Quelques pêcheurs d’anguilles disposent également de fumoirs. La plus-value est indéniable. Ces produits entrent pour 50 % dans le chiffre d’affaires des pêcheurs qui pratiquent la transformation.