La lamproie marine

La lamproie marine (Petromyzon marinus) appartient au groupe le plus primitif des vertébrés. Déjà présent, il y a 360 millions d’années, ce « fossile vivant » serpentiforme est un drôle de « poisson », poisson qu’il n’est pas à proprement parler. Classée dans la branche des agnathes (animaux dépourvus de mâchoires), la lamproie possède un corps cartilagineux, recouvert d’une peau sans écaille maculée d’un mucus visqueux particulièrement toxique et irritant. Des dents acérées garnissent sa bouche en forme de ventouse. Sept orifices branchiaux latéraux lui permettent de respirer.

Le cycle biologique de la lamproie marine comprend trois périodes. La première dure 5 ans en moyenne. En effet, la lamproie, alors une ammocète (stade vermiforme), naît en eau douce. Elle y vit enfouie au fond des cours d’eau dans les substrats meubles. Seule sa tête dépasse pour pouvoir filtrer l’eau contenant la nourriture dont elle a besoin, alimentation composée essentiellement de diatomées, d’algues et de débris organiques. Elle grandit très peu, ne grossit pas plus. À l’issue de ce quinquennat, intervient la métamorphose. Son disque buccal et ses dents apparaissent, ses yeux se forment. La voici désormais armée pour entamer la seconde partie de son existence, une vie de parasite, « de vampire », aux dépens des autres poissons.

Vie de « vampire »

Du haut de ses 12 à 15 cm, elle quitte les eaux douces pour rejoindre les eaux salées de l’estuaire, puis gagne la mer. Elle va y séjourner d’un à deux ans, chassant à tout va les poissons passant à portée de ventouse. C’est que l’animal est doté d’un appétit féroce. Une fois sa proie tombée dans ses griffes, elle y plaque la bouche. Ses dents perforent alors la peau, sa langue coupante rogne les chairs ramollies par succion. Elle peut également aspirer les œufs de sa proie en lui pompant l’abdomen, les liquides corporels et le sang grâce à l’anticoagulant sécrété par son appareil buccal.

Durant son séjour maritime, on estime que la lamproie accomplit ainsi «ventousée» un voyage long de quelque 300 kilomètres. Elle affiche désormais une taille, pour les plus grandes d’entre elles, de 1,20 m et un poids de 2,5 kg. Cette exceptionnelle croissance en ce très court laps de temps s’explique par le choix de ses proies. La lamproie s’attaque de préférence aux espèces plébiscitées par l’homme. Alose, hareng, saumon, morue, églefin, lieu, merlu, espadon, bar, thon… sont, pour elle, de délicieux hôtes comestibles.

Avec l’arrivée de la maturité sexuelle s’ouvre enfin la troisième période. La gloutonnerie laisse place à l’abstinence la plus totale. C’est l’heure d’entreprendre la migration de retour sur les zones de frayères. Dès décembre, la lamproie rejoint les estuaires, puis remonte les cours d’eau guidée par l’odeur de l’acide biliaire émis par les excréments d’ammocètes. Les frayères atteintes, entre la fin avril et la mi-mai, c’est au mâle de dresser le nid. Il balaye les graviers de sa queue jusqu’à obtenir une cuvette semi-circulaire. Il conserve quelques pierres, suffisamment lourdes pour protéger l’accouplement, du courant. La femelle se colle à une pierre tandis que le mâle s’accroche à sa tête. Ce même processus se reproduit durant plusieurs jours. Quelque 200 000 ovules sont fécondés à chaque parade. À l’issue de ce marathon, les géniteurs fatigués, aux intestins atrophiés, aux yeux dégénérés, passent de vie à trépas.

Friandise ibérique

La lamproie marine colonise les petits fleuves côtiers bretons, les bassins de Loire, de la Gironde, de l’Adour et du Rhône. Elle se rencontre rarement dans le Rhin. Dans l’estuaire de la Loire, les pêcheurs la capturent au filet trémail dérivant. Plus en amont, elle se pêche de janvier à mai à l’aide de nasses en osier (et de plus en plus fréquemment en plastique) de grande taille. En Gironde, elle se pêche à partir de janvier jusqu’à la mi-mai, aux filets dérivants et aux nasses. En Dordogne, les pêcheurs la ciblent de novembre à mai.

Les Portugais et les Espagnols sont très friands de lamproies. En France, c’est en Aquitaine que l’on trouve le plus grand nombre de consommateurs. Ailleurs, elle se fait discrète sur les étals des poissonniers qui redoutent que le physique ingrat de la bête n’effraie le chaland. La lamproie doit, en effet, se vendre vivante pour pouvoir être saignée, le sang étant un ingrédient indispensable pour la cuisiner.

Une grande partie de la production est cuisinée à la bordelaise et conditionnée en conserve, soit en conserverie soit directement par les pêcheurs. La lamproie à la bordelaise est un des fleurons de la gastronomie française traditionnelle. Mitonnée au vin rouge, la chair de la lamproie rappelle le civet de lapin. Cuite au muscadet ou au cidre, sa chair devient du velours. De nouvelles préparations, à la crème ou en tapas, ont trouvé leurs adeptes parmi les palais sensibles à la cuisine moderne. Des recettes innovantes qui remportent un véritable succès !