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Les ressources piscicoles des lacs Léman et du Bourget brinquebalent

24 août 2022

Les pêcheurs professionnels du Bourget et du Léman naviguent à vue. Impossible aujourd’hui d’avoir des certitudes sur les ressources potentielles de ces deux lacs alpins, même à très court terme. « C’est la même chose sur les lacs suisses » indique Michaël Dumaz, président des pêcheurs professionnels des lacs alpins. Les stocks de populations ne sont pourtant nullement en cause.

Sur le lac du Bourget, « les données scientifiques montrent des densités de lavarets (corégones) importantes, jamais observées jusqu’à présent » indique Sébastien Cachera, responsable de la gestion des milieux aquatiques au comité intercommunautaire pour l’assainissement du lac du Bourget (Cisalb). Mais les poissons n’ont guère, avec un rien d’exagération, que les écailles sur les arrêtes. « Deux tiers des lavarets capturés par la pêche amateur en 2021 étaient inférieurs à la taille légale de capture, 35 cm, et ont été remis à l’eau. Et le poids des poissons pêchés par les pêcheurs professionnels est passé d’environ 550 g en 2009 à moins de 440 g en 2020. La proportion de lavarets de 2 ans dans les captures de la pêche professionnelle était très faible en 2020, la plus faible jamais observée depuis le changement de réglementation en 2008, le passage de 30 à 35 cm pour la taille minimale de captures » ajoute-t-il. Les lavarets ne trouvent vraisemblablement pas le zooplancton nécessaire à leur croissance en quantités suffisantes. En 2021, il ne s’en est pêché que 2 tonnes, niveau de captures toutefois identiques à ceux observés dans les années 1990, loin des 80 tonnes enregistrées entre 2014 et 2016.

Adaptation réglementaire

Début 2022, préfet et direction départementale du territoire autorisaient les pêcheurs professionnels du lac à utiliser provisoirement une maille de 42 mm au lieu des 45 habituels pour la pêche du lavaret. « Une mesure temporaire pour permettre d’exploiter les spécimens à faible croissance de 3 ans, nés en 2019, alors qu’il aurait peut-être été difficile de les exploiter en conservant les pics en maille 45 mm. Cette mesure doit cependant s’accompagner d’un suivi très précis permettant d’éviter que de jeunes lavarets de 1 et 2 ans, à forte croissance n’entrent trop tôt dans la pêche. » précise Sébastien Cachera.

Aléas planctoniques

Espèce également recherchée des pêcheurs du Bourget, la perche souffre, elle aussi, de problèmes de croissance. La « faute », en partie, aux gardons, semble-t-il, aux populations abondantes actuellement et qui leur ôtent le zooplancton, une ressource limitée depuis quelques années, de la bouche. « Mais, la perche est un poisson carnassier, et il s’en sort pas trop mal par cannibalisme » explique Michaël Dumaz. Cette prédation de congénères lui suffit toutefois à peine pour atteindre une taille de capture de friture. Les volumes de prises, entre 3 et 4 tonnes en 2021, restent toutefois au niveau de celles des dix dernières années.

Sur le Léman, les populations de féras (corégones) se stabilisent. Mais les niveaux de captures restent bas. « Les importantes crues de l’été dernier ont apporté de très grandes quantités de matières organiques qui ont provoqué sur toute l’étendue du lac des blooms de phytoplancton. Le lac en était couvert pendant trois semaines. Le zooplancton a ensuite proliféré accompagné d’une production considérable de petites crevettes, dont se sont nourris les féras. » explique Michaël Dumaz. « Mais c’est un coup de chance » concède-t-il. La chance, si l’on peut dire, que le Léman s’ouvre sur de larges vallées alluvionnaires, contrairement au lacs du Bourget encaissé quasi à flanc de montagne.

Perturbations

Les gardons sont de retour en nombre. « Ses populations, grandes consommatrices de moules quagga, coquillages invasifs ont proliféré sur les fonds du lac ces dernières années, note Michaël Dumaz. On commence également à voir une répartition des populations de silures par classes d’âges. Ce ne sont toutefois encore que des captures accessoires, accidentelles, au Léman mais déjà très régulières au Bourget. À l’inverse, le brochet a, subitement, quasiment disparu de nos eaux. »

Souci aussi du côté de la production d’œufs de féras pour l’alevinage du Léman et du Bourget. « La pisciculture enregistre de fortes mortalités entre le stade œuf et celui de lâchers des jeunes poissons dans le milieu. Les températures d’incubation des œufs semblent être en cause. Nous sommes actuellement en train de regarder les contenus en lipides des œufs » explique Chloé Goulon, ingénieur d’études indicateur halieutique et ichtyologique, au Carrtel, une unité de recherche de l’Institut national de la recherche en agriculture, alimentation et environnement (Inrae) de Thonon-les-Bains.

Sur le lac d’Annecy, les deux pêcheurs semblent, là, bénéficier d’un peu de sérénité dans l’exercice de leur métier. Tranquillité d’esprit que les pêcheurs du Léman et du Bourget aspirent sûrement à retrouver et qui pourrait passer, au moins sur le Léman, par « le retour d’hivers froids et de bise soutenue permettant un brassage des eaux au-dessous de 130 mètres de profondeur peut redonner aux eaux leur productivité d’antan. » conclut Michaël Dumaz.