Justice

Lourdes condamnations pour des trafiquants de civelles entre la Loire-Atlantique et le Pays basque espagnol

10 mai 2019

Un mareyeur de Trignac (Loire-Atlantique) et son fils, un de ses concurrents des Deux-Sèvres, quatre braconniers, un pêcheur professionnel en eau douce, père ou beau-père des précédents, ont été condamnés, ce jeudi 7 février, pour trafic de civelles, entre la Loire-Atlantique et le Pays Basque espagnol, de janvier 2013 à avril 2016. Le tribunal correctionnel de Nantes a estimé qu’ils avaient agi « en bande organisée ». Il a évalué, a minima, à 600 kilos, les quantités de civelles vendues en toute illégalité, pour une valeur de 180 000 €. Le mareyeur de Trignac est le plus lourdement condamné avec deux ans de prison ferme. Son fils, le mareyeur des Deux-Sèvres, le pêcheur professionnel et l’un de ses fils braconniers écopent d’un an de prison ferme. Les amendes s’échelonnent de 30 000 € à 5 000 €. Voitures, dont une Porsche 928, motos, camions, bateaux et plusieurs centaines de milliers d’euros ont été confisqués. Des interdictions de pêcher ou de commercialiser la civelle pendant cinq ans ont été prononcées.

Préjudices

Le tribunal a également reconnu le « préjudice écologique » à hauteur de 50 000 €. Les organisations professionnelles, la fédération de pêche de Loire-Atlantique et les associations de protection de la nature qui s’étaient constituées parties civiles obtiennent en tout 290 000 € en réparation de leurs préjudices. Un second pêcheur professionnel, jugé dans les mêmes temps, mais pour des infractions à la législation du travail et fraude fiscale, est condamné à 14 mois de prison dont 8 avec sursis, 5000 € d’amende et 142 000 € lui sont confisqués.

À suivre, l’histoire plus en détail…

Dans les rouages d’un trafic international de civelles

Il s’est fait porter pâle à son procès. Pas assez costaud psychologiquement pour supporter cette épreuve judiciaire a certifié son médecin. Les débats, des 5 et 6 décembre 2018, en ont probablement perdu un peu de sel, et les journalistes de la télé japonaise ont dû rester quelque peu sur leur faim. Ce mareyeur de Trignac, S. L. C., 58 ans, était, de son propre aveux, le grand ordonnateur du trafic de civelles orchestré entre la Loire-Atlantique et le Pays basque espagnol, de janvier 2013 à avril 2016. Son fils, B. L. C., 25 ans, convoyeur de la bande, a, lui, eu le ressort de venir à la barre. J. T., 40 ans, un second mareyeur, des Deux-Sèvres, a aussi fait le déplacement. « Ne vous asseyez pas à côté de B. L. C.» lui demande le président du tribunal, soucieux de la sérénité des débats, rappelant que les L. C. ont dit avoir été, au cours de l’enquête, la cible d’une expédition d’hommes cagoulés et armés qui leur conseillaient de « la fermer ». La confrontation prévue dans la foulée entre les L.C., J. T. et l’un des quatre braconniers, J. D. capotait. « J’ai peur, Monsieur le juge » lâchait S. L. C. dans le bureau du magistrat instruisant l’affaire. Rien ne laisse toutefois penser que le mareyeur des Deux-Sèvres ait une quelconque responsabilité dans cette équipée.

Voyages en Espagne et horizons asiatiques

J. D., 53 ans, onze condamnations à son casier, dont deux pour des infractions de pêche, en 2005 et 2014, a, au cours de l’instruction, toujours été constant dans ses dénégations. « J’ai rien fait ». « Je ne connais ni S. L. C. ni son fils ». Son téléphone était sur écoute. En février, les policiers l’entendaient notamment réclamer aux L.C. son dû pour des civelles. « Il faut mieux vendre du poisson que faire des cambriolages. » dit-il à la barre, concédant avoir vendu « une fois » des civelles aux L.C. Probablement celles de contrebande que B.L.C. devait livrer « au vieux », un mareyeur espagnol, dans la nuit du 16 au 17 février 2016, et qu’il abandonnait « dans un ruisseau », sur les hauteurs du Pays basque espagnol, après avoir semé les enquêteurs qui le filochaient. Fin février et début mars, B.L.C. livrait, en toute illégalité, entre 200 et 300 kilos de civelles à J.T., le mareyeur des Deux-Sèvres. À trois reprises, dans les semaines qui suivaient, il déposait en douce des civelles dans une « importante entreprise de mareyage en Espagne ».
Dans les mêmes temps, son père causait, au téléphone, affaires avec un Chinois francophone, intermédiaire d’un Maltais qui espérait exporter en Asie des civelles achetées pour, officiellement, des opérations de repeuplements. Les services vétérinaires faisaient achopper la transaction. C’était ensuite au tour d’Italiens d’origines asiatiques de lui demander 7 à 8 tonnes de civelles frauduleuses. La crainte d’un piège policier le faisait renoncer. Sa mise en examen et son placement sous contrôle judiciaire, en avril 2016, ne le dissuadaient nullement de tenter de nouveaux coups louches. Les « grandes oreilles » des enquêteurs interceptaient, sur l’une de ses sept lignes téléphoniques, dites chinoises pour avoir été souscrites chez un opérateur des télécoms de l’empire du milieu et censées être « intraçables », sa conversation avec Maurice, un Anglais, intéressé par des civelles qu’il expédierait, via le Royaume-Uni, aux Philippines, dissimulées dans une cargaison de poissons exotiques. En juillet, il rencontrait ses clients espagnols pour se faire payer les civelles précédemment livrées.

Contrebande en famille

Également à la barre, V. B., 68 ans, pêcheur professionnel en eau douce, deux de ses fils, W., dit « Biquet », 40 ans, et E., 31 ans, et son gendre, J. B., 29 ans. V. B. est en partie à l’origine de l’ouverture de l’enquête. Les quantités de captures de civelles déclarées sur ses fiches de pêche ne coïncidaient pas avec les quantités, bien supérieures, qu’un mareyeur assurait lui avoir achetées. Si sa participation à ce trafic international n’était pas retenue, il n’en avait pas moins à s’expliquer sur le fonctionnement de sa petite entreprise familiale de pêche à la civelle. Le patriarche pêchait en toute légalité. Les frangins, inquiétés par ailleurs par la justice pour leur culture à grande échelle, sur une île de Loire, à Saint-Sébastien-sur-Loire, d’herbe de cannabis, et leur beau-frère, braconnaient. Une déjà vieille habitude d’enfance qui a noirci leur casier judiciaire respectif de quelques condamnations, entre 2010 et 2015. Les cueillettes des enfants étaient mélangées à la récolte du père. La part de chacun était dûment consignée dans un carnet. Autre pêcheur professionnel à la barre, G. B, 49 ans. Lui était disculpé de tout soupçon de braconnage de civelles, mais était épinglé pour des déclarations fiscales grandement approximatives.

Patrimoines interlopes

29 400 € en liquide par-ci, 9600 € par-là étaient récupérés lors des perquisitions. S.L.C. se félicitait que les enquêteurs « n’aient pas trouvé d’espèces ». Les patrimoines bancaires, mobiliers et immobiliers étaient passés au crible. S.L.C. avait procuration sur un compte bancaire ouvert au nom de sa fille, installée depuis belle lurette à Miami, compte « caché » de la société de mareyage, créditeur entre 2013 et 2015 de quelque 165 600 €. Il justifiait certaines de ses dépenses en liquide, travaux dans l’appartement de sa compagne, achat d’un bronze… par des gains au casino de la Baule, établissement qui n’en trouvait nulle trace dans ses comptes. Les enquêteurs saisissaient voitures, camionnettes, motos, bateau…

Les affaires continuent

Dans ses réquisitions, la procureure doutait que S.L.C. soit à la tête du réseau de braconnage. Un autre volet du trafic, mettant en cause des mareyeurs ibériques, est dans les mains de la justice espagnole. Un important mareyeur du sud-ouest dont le nom est cité dans le dossier est, depuis quelques années, dans le collimateur d’un juge d’instruction de Mont-de-Marsan. Le tribunal correctionnel des Sables-d’Olonne (Vendée) devrait juger dans les mois qui viennent un trafic du même tonneau. La saison de civelles actuelle a d’ores et déjà été émaillée de saisies dans des aéroports européens. Fin janvier, les douanes de Pau mettaient la main sur près de 900 kilos de civelles de contrebande.
À qui voulait l’entendre, S.L.C. ne manquait jamais de rappeler qu’il était un défenseur d’une pêche de la civelle « raisonnée et de qualité », dans un souci de « sauvegarde de l’espèce ».

Pêcheurs et braconniers ont fait appel du jugement.