
Mathéo Bonnet, 21 ans, pêcheur professionnel sur la Loire, est l’un des fournisseurs en poissons d’eau douce de Mathieu Pérou, 32 ans, chef étoilé du Manoir de la Régate, restaurant nantais des bords de l’Erdre. Portraits croisés.
Il a fait la marée du matin à pêcher la lamproie, en Loire, à l’amont immédiat de Nantes. En ce début d’après-midi, Mathéo Bonnet, pêcheur professionnel depuis 2022, vient livrer sandres et silures soigneusement conditionnés sous vide ou glacés, au Manoir de la Régate, restaurant des bords de l’Erdre, une des meilleures tables de Nantes et de Loire-Atlantique. En cuisine, service tout juste terminé, Mathieu Pérou, chef étoilé Michelin en 2021, filète, écouteurs sans fil aux oreilles, d’un geste précis et efficace, brèmes et perches. Entre autres plats, possiblement au menu du déjeuner, ce jour-là, silure de Loire confit, potagère d’herbes sauvages, beurre blanc au yuzu nantais. Le chef ne met à sa carte que du poisson d’eau douce pêché localement, en Loire, dans l’Erdre, un de ses affluents, et dans le lac de Grand-Lieu.
Du filet à l’assiette
Les deux hommes collaborent depuis 2023. « C’est un pêcheur professionnel, Gilles Bégaud, qui travaillait déjà avec Mathieu, qui après sa cessation d’activité nous a mis en relation. La première condition de cette transmission était de toujours lui fournir le meilleur poisson qui soit. » raconte Mathéo Bonnet, qui, en 2021, décrochait une médaille de meilleur apprenti de France, dans la catégorie poissonnier, écailler, traiteur. « Il a tout de suite compris la qualité de produit que je souhaitais » ajoute Mathieu Pérou. Son père, créateur du Manoir en 1995, et son parrain, auxquels lui et sa sœur Anne-Charlotte ont succédé, en 2017, à la tête du restaurant, travaillaient déjà avec Gilles Bégaud alors associé à Alain Baillet, pêcheur professionnel sur l’Erdre. « Ils leur fournissaient essentiellement sandres et brochets » indique le chef étoilé.


Mathieu Pérou lève les filets de brèmes et de perches, pêchées par Fabrice Bâtard, pêcheur professionnel sur le lac de Grand-Lieu.
« Les poissons que je livre sont tous ikéjimé » précise Mathéo Bonnet, méthode d’abattage, originaire du Japon, qui permet à la chair de garder le meilleur de son suc et de son sel. Mathieu Pérou s’est formé, un temps, chez un trois étoiles japonais. « Mais je ne m’occupais pas de poisson » précise-t-il. Trouver le parfait filetage du poisson d’eau douce, « qui n’est pas celui du poisson de mer » dit-il, est le fruit de ses essais. Une découpe aux petits oignons indispensable pour que la chair du poisson exprime son meilleur potentiel gustatif.
Soif de saveurs
Dans une pièce attenante à la cuisine, du silure s’expose dans une chambre de maturation vitrée. « On y place le poisson 8 ou 9 heures maximum après sa mort, puis 10 à 15 jours après l’avoir préparé, le temps que la chair se stabilise. » détaille Mathieu Pérou, un affinage qui là aussi sublime et révèle de nouvelles saveurs. Son plat signature ? Une mousseline de carpe au yuzu, « un agrume japonais que nous cultivons, comme la plupart des légumes et herbes que nous utilisons, dans le potager du restaurant » précise Mathieu Pérou, agrémentée d’un bouillon de queue de bœuf et d’arrêtes de carpes.
La lamproie pourrait aussi un jour s’inviter au menu. « Et il y a mille belles façons de cuisiner le silure, en ballottine, confit… » ajoute Mathieu Pérou.
Mathéo passe lui aussi parfois en cuisine, à La pêcherie de Bellevue, petite entreprise, installée à Sainte-Luce-sur-Loire, à une quinzaine de kilomètres en amont de Nantes, qu’il gère, en famille, avec père, frère aîné et grand-mère. Il mitonne, là, en conserve, silure, lamproie, alose, anguille… à la basquaise, en matelote, au vin blanc, transforme mulet ou carpe en rillettes…
« Mathieu me demande souvent : « Alors,quand est-ce que tu viens manger chez moi, avec ton frère et ton père ? ». Je lui répondais : « Quand tu viendras à la pêche ». Sortie de pêche faite pour Mathieu Pérou.
Mathéo Bonnet fournit également silures et mulets au Grand Monarque, une étoile Michelin à Chartres.
