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Chauds, chauds, les niveaux d’eau

5 juin 2020

L’exception semble devenir la règle. La périodicité des sécheresses printanières et estivales se réduit. Les plans sécheresse conçus pour n’être déclenchés que tous les cinq ans le sont quasiment chaque année désormais.

Depuis fin mai, ici et là, des secteurs de Vendée, de Charente, des Pyrénées-Orientales, d’Oise, de Saône-et-Loire, d’Ain, d’Ardèche sont sous le coup d’arrêtés réduisant les prélèvements d’eau à usage agricole, interdisant à certaines heures de la journée arrosage de jardins, de golfs et d’espaces verts, et prohibant plus largement le lavage de voitures. Un niveau de restrictions représentant le deuxième stade sur cinq des mesures de réglementation d’utilisation des eaux. Neuf départements de la région Auvergne-Rhône-Alpes, territoire sensé jouer, avec le Massif central, le rôle de château d’eau de la France, sont, eux, dans leur totalité, placés en état de vigilance, avec incitation à faire des économies d’eau.

Hydre hydrique

À la même date en 2019, future année de grande sécheresse, seuls cinq départements de cette même région faisaient face à des restrictions similaires. Onze l’étaient sur l’ensemble de l’Hexagone. Sept en 2020, deux en 2018. Mais comparaison n’est pas raison, dit-on.

Les averses, ondées, crachins, saucées et giboulées à répétition d’automne et d’hiver 2019 et de début de printemps 2020 rechargeaient abondamment les nappes phréatiques d’une grande partie de l’Hexagone.

Las, un déficit pluviométrique marqué et des températures élevées en avril asséchaient rapidement les sols. Ce mois-là, 69 % des cours avaient encore des débits supérieurs à 80 % de leur débit « normal ». Un mois plus tard, ils n’étaient plus que 22 %. « Le Doubs manque d’eau. Les débits de la Saône et du Rhône sont, eux, au niveau de ceux enregistrés habituellement à cette époque. Ils profitent encore de la fonte des neiges. Mais il n’a guère neigé au-dessous de 2 000 mètres cet hiver. »explique Florestan Giroud, représentant des pêcheurs professionnels du Doubs, de la Saône et du Haut-Rhône. Les sources des petits ruisseaux de moyenne altitude qui font les grandes rivières se tarissent déjà. « Traditionnellement, la fonte des neiges peut alimenter les cours d’eau jusqu’à la fin juillet. Si les températures continuent d’être élevées pour la saison, le manteau neigeux risque d’être consommé fin juin. » poursuit Florestan Giroud.

« Les niveaux de la Loire sont trop bas. Pour le mois d’avril, le débit de 2020 était plus faible qu’en 2019, année déjà catastrophique. » indique Philippe Boisneau, directeur général du Comité national de la pêche professionnelle en eau douce et pêcheur professionnel installé à Chisseaux, à quelques kilomètres en amont de Tours.

Mi-mai, les agriculteurs irrigants d’Allier et de Loire réclamaient la création en urgence de cuvettes et de retenues collinaires. Quinze jours plus tard, en Loir-et-Cher, lors d’une réunion de crise « sécheresse » organisée par la direction départementale des territoires, les très nombreux agriculteurs irrigant présents en audio-conférence, exigeaient le maintien de leurs droits à prélever quelles que soient les conditions hydrologiques et météorologiques. Leur seul argument : les prévisions de déficit hydrique et de sécheresse annoncées par le Comité national de l’eau ne sont qu’élucubrations.

Analyses rétrospectives

Au cours de l’été 2019, le déficit en eau était tel que la quasi-totalité des départements étaient sous le coup d’arrêtés préfectoraux restreignant ou interdisant nombre de ses usages. L’approvisionnement en eau potable était menacé en Creuse, dans le Gers et dans certains départements de l’Est de la France. Situations inédites, le niveau d’eau du canal de Briare, traversant l’Yonne et le Loiret, pour relier la Seine à la Loire, n’atteignait que 15 % de son débit normal. Le canal du Centre, reliant la Loire à la Saône, n’était guère mieux pourvu. La navigation y était un temps interrompue, mesures similaires décrétées sur le canal des Vosges et le canal des Ardennes.

En décembre 2019, le conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) dressait un bilan des mesures de gestion prises dans cette situation de crise hydrique, à l’aune du dispositif réglementaire inscrit dans le Code de l’environnement et complété par une circulaire ministériel de mai 2011.

Dans son rapport, on lit notamment que les « comités sécheresse apparaissent souvent comme des chambres d’enregistrement ou de répartition de la pénurie entre les agriculteurs », que les décisions qui y sont prises sont « davantage la résultante d’un rapport de force entre les acteurs que la traduction d’une situation objectivée ». Autre constat du CGEDD : « les contrôles de police de l’eau, volet indispensable du dispositif de gestion de crise sont certes nombreux, mais rarement suivis de sanctions, notamment en raison d’un manque d’implication des procureurs. Le manque de clarté des arrêtés de prescriptions et surtout de leurs mesures, ne facilite pas ces contrôles et affaiblit considérablement la force de la police de l’environnement. » Les interdictions de pomper l’eau entre 9 h et 19 h n’empêchaient, en effet, nullement, ici ou là, les agriculteurs irrigants d’arroser leurs cultures toute la journée et sous un brûlant cagnard.

Les constats objectifs de situation hydrique dégradée ne pèsent pas lourd face aux « pressions des milieux économiques et notamment des agriculteurs pour retarder la prise de mesures en fonction du calendrier de l’irrigation. » ajoute le CGEDD. L’inertie pour réunir rapidement les comités de gouvernance, ces comités sécheresse, est tout aussi préjudiciable ajoute en substance le comité ministériel.

Partage des eaux

Principale recommandation du CGEDD à l’issue de son étude : transformer les comités sécheresse en comités de gestion de l’eau dotés de missions plus générales sur la gestion de la politique de l’eau et se réunissant plus régulièrement. Mais cette proposition de réorganisation semble faire figure de pis-aller dès lors que le comité « s’interroge sur les limites d’un dispositif de gestion de crise prévu en principe pour être mobilisé une année sur cinq et mis en œuvre pratiquement chaque année » et qu’il préconise de privilégier des « réponses relevant de la gestion structurelle quantitative de l’eau ». Une réflexion et une refonte de fond déjà revendiquée, en septembre 2019, dans une lettre ouverte des organisations professionnelles des pêcheurs professionnels en eau douce, des marins-pêcheurs, des conchyliculteurs et des aquaculteurs, au Premier ministre, Édouard Philippe, pour demander la mise en place d’un nouveau partage de l’eau douce pour, dans un contexte de raréfaction de la ressource, lui permettre de continuer à remplir ses différentes fonctions, de la source à la mer.

Préfets de bassin à sec

En 2017, le gouvernement demandait aux préfets de bassin d’établir un bilan de l’épisode de sécheresse de la saison 2016-2017 et d’en tirer les enseignements pour une prochaine situation de crise hydrique. Seul le préfet du bassin Seine-Normandie daignait se plier pleinement à l’exercice, ses homologues se contentant de produire a minima, regrette le CGEDD, quelques éléments utilisés lors d’une réunion du groupe technique expert « gestion quantitative de la ressource en eau », de mars 2019.