
« Tranquille » dans son coin, Serge Carraud pêche. Frédéric Simond, chef des Figuiers Messery, frit les filets de perche, spécialité locale, qu’il lui livre. Bref récit d’une relation de travail et d’amitié nouée, entre le pêcheur professionnel et le restaurateur, dans un bistrot des bords du « Petit lac » Léman.
« Les filets de perche, beurre citronné, frites fraîches et salade (ceux pêchés par Serge Carraud, si la pêche a été bonne ☺ ») » lit-on sur la carte de juin des Figuiers Messery, restaurant du bord du lac Léman. « Ici, tout le monde connaît Serge. Les gens qui viennent manger chez nous ne sont donc pas surpris de la provenance du poisson. » indique Frédéric Simond, son chef. Les deux hommes se sont rencontrés « au bistrot du coin » où l’un et l’autre ont leurs habitudes du petit café du matin. Frédéric Simond et son associée, Cynthia, ont posé à Messery leur bonne table, en 2023. Serge Carraud mouille ses barques, à Chens-sur-Léman, depuis toujours. Les deux communes sont contiguës, donnant sur la partie dite du « Petit lac », aux abords de Genève.
Du côté du « Petit lac » Léman
Tranquille
« Je suis d’une famille de pêcheurs. On pêche de père en fils et/ou en fille depuis 1885. Mon père a commencé à 14 ans, a pêché pendant 69 ans, 69 permis de pêche. » raconte Serge Carraud. Lui a commencé « à 16 ans ». Il en a aujourd’hui 59.
« J’ai passé mon enfance au bord du lac, dans l’eau, sur un bateau. Je suis tout le temps sur l’eau. J’aime être dehors, et ce que j’aime plus que tout c’est pêcher la féra à 4 h du matin, seul au milieu du lac avec uniquement le bruit de l’eau et des goélands » indique Serge Carraud. Sa maison est à « 100 mètres » des berges du Léman.
« Le portail du restaurant est à 20 mètres de l’eau. Avant, nous avions un restaurant à Yvoire, à 3 ou 4 kilomètres plus au nord, une très jolie ville médiévale, qui accueille chaque année plus d’un million de visiteurs. » Messery, ses 2300 habitants et les 30 tables, en terrasse les beaux jours venus, des figuiers de Messery vivent paisiblement à l’écart de cette agitation touristique. « Nous ne travaillons que des produits frais. Nous ne courons pas après le Michelin et autres récompenses. Le bouche à oreilles fait notre clientèle. Les gens qui viennent chez nous sont là pour prendre leur temps » indique Frédéric Simond, « cuisinier depuis toujours », formé aux fourneaux de cuisines étoilées. « Cuisine authentique et savoureuse » peut-on lire ici ou là sur des avis internet, eux aussi étoilés.
Variations
« Le lac est à l’heure actuelle vide de tout poisson. Ces deux derniers jours [fin juin, ndlr], j’ai levé des filets « mayolles », terme spécifique aux pêcheurs du Léman, c’est-à-dire vides. Il y a trois ans, le lac était blindé de perches. Certaines années, il n’y avait pas grand-chose, mais il y avait toujours quelque chose » constate-t-il. Il pêche à l’occasion du gardon, mais encore faut-il « trouver la vente », du brochet, le « remettant à l’eau quand c’est une femelle pleine d’œufs », quelques truites, des ombles chevaliers, « plutôt dans le grand lac » pour cette dernière espèce.
« Je pêche tranquille dans mon coin » lâche Serge Carraud. Il ne met guère à l’eau que « quatre des huit filets » auxquels la réglementation lui donne droit, ne se sert plus de ses nasses « depuis plusieurs années », mais, de toute façon, n’a jamais utilisé « tout le matériel autorisé même lors des belles années de pêche, qui sont malheureusement loin derrière nous ». Il s’est équipé, un jour, d’un vire-filet, « trop bruyant », dit-il et donc quasi aussitôt remisé « au fond de l’atelier », a encore deux « vieux bateaux, l’un de 1948, l’autre de 1966 », et il ne capture que ce dont il « a besoin ». Il filète les perches qu’il livre, fumait, à l’occasion de la féra, deux espèces dont les stocks de populations sont actuellement quelque peu raplapla.
Frédéric Simond, lui, met à sa carte, si les perches du lac font défaut, des filets « frais importés d’Irlande » et des rougets barbets des Sables-d’Olonne. « La cuisson des poissons d’eau douce est toujours plus délicate que celle des poissons de mer » précise le chef des Figuiers Messery.
Aujourd’hui Serge Carraud travaille avec « 5 ou 6 restaurants », dont Le refuge des gourmets, l’étoilé du chef Hubert Chanove, à Machilly. « Tous ces chefs sont des potes, l’un depuis 35 ans » précise-t-il.
Ses enfants ne vont pas lui succéder. « Ils n’étaient pas spécialement attirés par la pêche, mais il est certain que je ne les ai pas incités à reprendre, le métier n’étant, dans ces conditions, plus viable et les perspectives peu réjouissantes… » conclut-il.
